Le Carnet du collectionneur Le Carnet du collectionneur

Cartes de charme des années 1910-1930

La femme est au centre de la production cartophile de fantaisie.
Au début du XXe siècle, elle dévoilait déjà ses charmes, façon bourgeoise parisienne.

On le sait, la cartophilie est probablement une des collections les plus riches par sa diversité sur les thèmes abordés. La carte postale est née il y a près de 150 ans en Autriche (1869). Elle permet non seulement de retracer l’historique urbanistique de nos villes et villages, mais aussi son folklore et son économie. Un autre domaine, que l’on appelle « fantaisie », témoigne également d’une grande richesse par les sujets abordés, qu’ils soient photographiques ou illustrés. Les thèmes vont des petits métiers aux cartes humoristiques, en passant par les traditionnelles Joyeuses Pâques ou Bonne Année.

La femme occupe une place privilégiée, que ce soit dans l’illustration ou dans la photographie. C’est donc elle qui est au centre de la production cartophile de fantaisie. Que ce soit pour présenter un produit, envoyer un bonjour ou être elle-même le sujet central du bout de bristol. Rien n’a d’ailleurs fondamentalement changé à ce jour dans la communication.

L’illustration est considérée par de nombreux cartophiles comme un domaine d’exception où des milliers d’illustrateurs parfaitement inconnus côtoient quelques centaines d’artistes vedettes. Parmi ces derniers, le plus célèbre est sans conteste l’Autrichien Alfons Mucha, l’un des fers de lance du style Art nouveau. Mais on compte aussi de nombreux artistes très renommés comme Egon Schiele, Pablo Picasso, Henri de Toulouse Lautrec, ou encore l’illustrateur d’origine italienne Leonetto Cappiello. Du côté des Belges, on trouve du « beau linge » comme Armand Rassenfosse, Privat Livemont, Henri Meunier, Max Stevens, Gilbert Combaz, Hendrik Cassiers, Emile Dupuis ou encore Alfred Ost.

La société d’édition belge pionnière la plus célèbre est sans nul doute la maison bruxelloise Dietrich & Cie, qui produisit les premières cartes postales de Bruxelles en 1888 mais aussi les plus belles cartes lithographiées par nos artistes.

Un domaine cartophile a connu son âge d’or durant l’entre-deux-guerre : les cartes de charmes illustrées, qui sont généralement signées ou monogrammées. Mais les illustrateurs sont souvent moins connus que ceux que nous venons de citer. Leur biographie est sommaire ou inconnue, ils sont même parfois non identifiés car certaines signatures ou monogrammes sont toujours non déchiffrés à ce jour (par exemple HS).

Les cartes de charme ont toujours existé. Au début, elles circulaient à découvert et s’affichaient dans les vitrines. Il y eut aussi une période où la censure a sévi, avec notamment, dans les premières années du XXe siècle, la campagne pour le respect des bonnes mœurs menée par le célèbre sénateur français René Bérenger, qui fut vite affublé du sobriquet de « Père la Pudeur ». Après les privations de la Première Guerre mondiale, les années folles vont relancer l’énergie créative. Au début, les cartes sont souvent aquarellées, puis par la suite remplacées par les cartes trichromes où le dessin de l’artiste est simplement photogravé en couleur.

Les années 1910-1930 sont une époque spécifique où la femme est déjà l’objet central mais n’est encore l’unique sujet de la carte comme le sera la pin-up des années 1940-1970. La femme est toujours occupée à faire quelque chose, elle se balade, fait du shopping, fait sa toilette, lit une lettre, paresse au lit. Elle fait rarement la vaisselle ou le ménage. C’est la bourgeoise parisienne.

Certains artistes, comme Massard, sont des étoiles filantes qui n’ont produit qu’une série de carte dans le domaine précis de la carte de charme. D’autres, comme Suzanne Meunier, ont eut une production plus importante (plusieurs centaines de cartes) mais très souvent dans ce domaine également. Enfin certains artistes, comme l’aquarelliste français Louis Vallet, sont des opportunistes qui suivent la demande et les modes.

La « Parisienne illustrée » s’épanouit vraiment entre les deux grandes guerres. Elle pointait déjà le bout de son nez en 14-18 dans son rôle de marraine des poilus. Elle est l’héritière des cocottes de la belle époque. L’illustration généralement aquarellée permet aux artistes d’arrondir les fins de mois. Ils exposent souvent aux salons des humoristes, mais ils présentent aussi des huiles dans les très officiels salon de peintures de Paris. Ces cartes de salon sont dédaignées par les collectionneurs (car souvent plus académiques) mais elles témoignent de la volonté des artistes d’accéder au statut d’artistes d’art majeur, ou au minimum de diversifier leur art. Le ton des cartes laisse difficilement penser que ces artistes vivaient dans l’ascèse et la plupart sont passé par la librairie de l’Estampe spécialisée en édition de ce style de carte ou chez A. Noyer.

Xavier Sager est sans doute le plus important illustrateur de cette époque.
La biographie de Xavier Sager (1881-1969) est connue par certains collectionneurs, mais aucune publication n’a hélas encore vu le jour. La seule zone d’ombre à sa biographie sont les toutes premières années passées en Belgique entre 1901 et 1903. Il y fut édité par Ghisquière (V. G. Bruxelles), Victor Ernult Donck (VED, Bruxelles ), Echterhoff (Bruxelles-Dresden), Heintz-Jadoul (Liège), avant de vite atterrir à Paris.

Les grands lieux de plaisirs comme le Moulin Rouge, les Folies Bergère le bal Tabarin, les grands restaurants et les grandes avenues parisiennes sont l’objet des croquis coquins ou de charme, mais c’est surtout nos charmantes parisiennes, grandes croqueuses de militaires, qui marquent l’explosion de la production de charme. Certains des thèmes sont des prétextes à mettre en évidence les dessous de nos belles.

Xavier Sager est un artiste insatiable, mais surtout un businessman redoutable. Il est certain que des « nègres » travaillaient pour lui, on parle de 6 à 8 artistes à un moment donné. Ses travaux et ses styles sont tellement différents, et surtout simultanés, qu’il est en effet impossible qu’une seule main ait pu produire tout cela.

Comme Sager était opportuniste, aucun domaine n’échappe à sa création. Son activité passe par les productions les plus vulgaires, grivoises et grossières (au fond comme à la forme), par les cartes de vœux très conventionnelles, les cartes d’actualité, du scatologique, ou encore de l’anticléricalisme. Il n’a, à notre connaissance, pas produit de cartes patriotes de commande, comme Vallet par exemple. Ses cartes patriotiques étaient tout simplement commerciales. L’ artiste s’est énormément inspiré de ses collègues pour l’humour. Par contre, ses fantaisies de charme sont plus typiques. Au début de sa carrière il a simplement recopié des cartes postales existantes, notamment de Kirchner, Patella et Gibson, mais aussi de simples cartes photographiques. Il a également exposé au salon de Paris (voir la carte Démon de Midi).
Sa grande période de charme fut celle des éditeurs A. Noyer avec ses fantaisies parisiennes aquarellées et les trichromes B.G. Paris. Les autres éditeurs comme Kunzli Frères (K.F. Paris) dont la couverture d’un rare catalogue est reproduit ici, sont simplement légèrement coquines.

Sager a réalisé peu de commandes publicitaires. Après le décès inopiné
de son épouse à qui il avait tout légué, Il termina sa vie ruiné, peignant des toiles pour touristes, à Nice, pour survivre.